Vie et mort d’un corps d’homme

Publié le par Mariel

Philip Roth, une figure phare de la littérature américaine contemporaine… J’avais lu La Tache et j’avais été sensible à l’histoire, celle d’un vieil homme qui se remémore sa vie. Ce roman pose de nombreuses interrogations: la honte, la famille, et surtout le sentiment d’appartenir à une communauté ou à un pays, etc… Plus tard, j’ai lu La Bête qui meurt, mais je n’ai jamais pu terminer le roman. J’ai trouvé l’écriture bien trop obscène et j’avais l’impression de me transformer en lectrice voyeuse et … bref, j’avais fait une croix sur l’oeuvre de Roth.
Et voilà que je tombe sur un article de son dernier livre! Un éloge d’
Un Homme! Le billet est si bien écrit, si prenant que je décide de donner une seconde chance à Roth (un peu présomptueux de ma part) et j’achète aussitôt le bouquin! Et je ne suis pas déçue, bien au contraire…

  


Un Homme
De Philip ROTH

Titre original: Everyman
2006, éd. Gallimard, coll. Folio

 notation_etoiles_5


 
Un cimetière juif aux abords d’un aéroport, près d’une autoroute. La végétation pousse, les dalles se fendent, sont délabrées. Dans ce cimetière d’un autre temps, des silhouettes noires sont réunies, des paroles sont prononcées, des poignées de terre sont jetées. On enterre un homme.

 


C’est un peu comme si on commençait par la fin: l’enterrement, les éloges funèbres entraînent le récit d’une vie. Une vie banale, celle de tout homme – on ne connaît pas le nom du personnage-, ponctuée d’échecs et de réussites, de doutes et de choix. Mais ce qui semble central dans ce récit, ce n’est pas tellement les relations familiales, amoureuses ou professionnelles, non, c’est surtout la place du corps. Le corps est éprouvé par la maladie, par la vieillesse et par (la persepective de) la mort. Ces confrontations, ces angoisses amènent l’homme à s’interroger: finalement, qu’est-ce qu’une vie? Que nous reste-t-il quand on touche à la fin? Quel est l’essentiel? “On ne réécrit pas l’histoire.” Et c’est pour tout cela que ce roman nous touche autant, pénètre notre âme et nous offre un autre regard sur les corps, sur l’Homme.

Je n’en dirai pas davantage car, quoique je dise, mes mots ne rendraient pas justice à l’oeuvre. Ils “l’abîmeraient”. Ils ne seraient pas le reflet de toute la force, de l’intensité des émotions qui émanent de ce livre. L’écriture (la traduction) devient tantôt rage, tristesse, illusions, avidité…Tout un panel d’émotions!
Enfin, mes mots ne seraient pas non plus aussi justes que ceux d’Emi-Lit… Si vous voulez en savoir plus, lisez son  billet!

Dans tous les cas, lisez Un Homme, vous en sortirez “changé”.

 


Extraits

“Ce fut la fin. On n’avait rien exprimé de spécial. Avaient-ils tous dit ce qu’ils avaient à dire? Non, et pourtant si, bien spur. D’un bout à l’autre de l’Etat, ce jour-là, il y avait eu cinq cents enterrements pareils à celui-là, ordinaires, sans surprise, et, hormis les trente secondes de flottement occasionnés par les fils – et le moment où Howie avait fait revivre avec une précision laborieuse le monde de l’innocence, tel qu’il existait avant l’invention de la mort, cette vie sans fin dans l’Eden de leur père, paradis de cinq mètres de large sur treize de profondeur, déguisé en bijouterie vieillotte -, un enterrement ni plus ni moins intéressant que les autres. Mais enfin, le plus déchirant, c’est ce qui est commun, le plus accablant, c’est le fait de constater une fois encore la réalité écrasante de la mort.”
p.25

“Ils n’étaient plus que des os, des os dans une caisse, mais leurs os étaient les siens, et il s’en approcha au plus près, comme si cette proximité pouvait le relier à eux et atténuer l’isolement causé par la perte de l’avenir, recréer le lien avec tout ce qui avait disparu. Pendant l’heure et demie qui suivit, ces os furent pour lui la chose la plus importante. Ils furent la seule chose importante, malgré ses considérations parasites sur le délabrement du cimetière abandonné. Une fois en compagnie de ces os, il ne put les quitter, ne put s’empêcher de leur parler, d’écouter ce qu’ils lui disaient. Entre lui et ces os, l’échange était puissant, bien plus puissant aujourd’hui, qu’entre lui et les êtres encore vêtus de chair, car la chair se dissout, et les os demeurent. Ces os étaient la seule consolation, pour un homme qui ne croit pas à l’au-delà, qui sait pertinemment que Dieu est une fiction, et que cette vie est la seule qui nous soit donnée. Comme aurait dit Phoebe à l’époque de leur rencontre, on pouvait affirmer sans exagération aucune que son plus profond plaisir, à présent, il le trouvait au cimetière. C’était le seul lieu où il pouvait trouver la plénitude et la paix.
Il n’avait pas l’impression de jouer. Il n’avait pas l’impression de prendre ses désirs pour des réalités. La réalité, précisément, c’était l’intensité du lien avec ces os.”
p.170-171

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article