L'Attentat de Khadra, dans la haine et le sang
Nouvelle lecture commune... avec Bladelor (la coquine a oublié sa lecture!) et Neph.
L'Attentat
Yasmina Khadra
Pocket, 2006 (Ed. Juillard, 2005)
L'Attentat
Yasmina Khadra
Pocket, 2006 (Ed. Juillard, 2005)
Résumé
♥♥♥ Trois bonnes raisons de lire L'Attentat :
- Ce court roman est horriblement réaliste et trouve un sinistre écho dans nos actualités;
- Il soulève les questions fondamentales que sont la vie et la mort, et interroge les "justifications" données à la violence;
- L'histoire d'Amine (et de ses proches, et des combattants) ébranle nos émotions.
Si le sujet vous intéresse, si vous avez aimé ce livre, sans doute aimerez-vous les films The Bubble (mêmes "questions", à Tel-Aviv) ou Valse avec Bachir.
Enfin, allons lire l'avis de Neph...
Extraits
Amine s'adresse à son ami, Naveed, un haut fonctionnaire de la Police (p.94-95).
"- Dis-moi, Naveed, toi qui as vu tant de criminels, de repentis et toutes sortes d'énergumènes déjantés, comment peut-on, comme ça d'un coup, se bourrer d'explosifs et aller se faire sauter au milieu d'une fête? [...] C'est la question que je me pose toutes les nuits sans lui trouver un sens, encore moins une réponse. [...] Alors, comment ils expliquent leur folie?
- Ils ne l'expliquent pas, ils l'assument.
- Tu ne peux pas mesurer combien ça me travaille, ces histoires. Comment, bordel! un être ordinaire, sain de corps et d'esprit, décide-t-il, au détour d'un fantasme ou d'une hallucination, de se croire investi d'une mission divine, de renoncer à ses rêves et à ses ambitions pour s'infliger une mort atroce au beau milieu de ce que la barbarie a de pire?"
Un commandeur (groupe de Jenin) s'adresse à Amine (p.213)
"J'ai voulu que tu comprennes pourquoi nous avons pris les armes... [...] Il n'est pire cataclysme que l'humiliation. [...] Vous n'avez qu'une idée en tête: comment finir dignement après avoir vécu misérable, aveugle et nu?
Personne ne rejoint nos brigades pour le plaisir, docteur. Tous les garçons que tu as vus, les uns avec des frondes, les autres avec des lance-roquettes, détestent la guerre comme c'est pas possible. Parce que tous les jours, l'un d'eux est emporté à la fleur de l'âge par un tir ennemi. Eux aussi voudraient jouir d'un statut honorable, être chirurgiens, stars de la chanson, acteurs de cinéma, rouler dans de belles bagnoles et croquer la lune tous les soirs. Le problème, on leur refuse ce rêve, docteur. On cherche à les cantonner dans des ghettos jusqu'à ce qu'ils préfèrent mourir. Quand les rêves sont éconduits, la mort devient l'ultime salut... Sihem l'avait compris, docteur."
Dans un hôpital de Tel-Aviv, Amine et Kim, deux chirurgiens, fatigués, se reposent entre deux interventions. Amine est inquiet car il n'a toujours de nouvelles pas de sa femme: elle aurait déjà dû arriver à la maison. C'est alors qu'ils entendent l'explosion... Un attentat. Tout le personnel tente de rapidement s'organiser avant l'arrivée des ambulances. Amine et ses collègues ne comptent plus les heures, auscultent, diagnostiquent, soignent, cousent, et... "trient". Epuisé, parce qu'il a failli laisser mourir un enfant, Amine rentre chez lui. Sa femme n'est toujours pas là. Il est réveillé en pleine nuit et rappelé d'urgence à l'hôpital. La Police lui demande d'identifier un corps déchiqueté. Amine reconnaît Sihem, sa femme... C'est elle, la kamikaze. S'ensuivent l'incompréhension, la rage, le désespoir...
Mon avis
L'Attentat fait partie de ces livres dont on a du mal à se remettre... C'est ce que j'appellerais une lecture "dévastatrice". A quoi cela tient-il?
Le sujet, d'une part, les questions et les émotions qu'il entraîne, d'autre part.
L'Attentat s'inscrit dans une trilogie, dont il est le deuxième volume, consacrée au dialogue (ou à l'absence de vrai dialogue) entre Orient et Occident. Alors que Les Hirondelles de Kaboul interrogeait la place de la femme en Afghanistan, L'Attentat illustre les haines mais aussi les idéaux qui divisent les Juifs et les Arabes en Israël et en Palestine (sans jamais prêcher le Bien ou le Mal). Par sa foi en l'Homme, Amine incarne à lui seul un idéal, un espoir d'avenir: il a brillamment réussi, il a essuyé les mépris et les jalousies, mais il s'est fait sa place, il est même naturalisé israélien. En quelque sorte, il représente "l'intégration". Pourtant, lorsqu'il sort de Tel-Aviv, lorsqu'il rejoint des zones en lambeaux comme Bethléem, Amine n'est pas celui qui a réussi, mais celui qui est aveugle ou inconscient, celui qui refuse de voir la misère et la guerre. En cherchant à comprendre ce qui a poussé sa femme à un tel acte, Amine va se rendre dans la gueule du loup et donner la parole aux groupes terroristes. Ces passages désarçonnent vraiment: les personnages sont tellement confiants, tellements sûrs de leur cause, de sa légitimité... Aveuglés par leur haine, entretenue depuis tant d'années... Pour autant, le médecin s'accroche à son idéal: il persiste à refuser de considérer la mort comme une fin, sa vocation c'est de sauver, de guérir...
Son voyage au coeur des haines et du désespoir sera aussi une intropesction: l'homme qui pensait rendre sa femme heureuse (sans doute un peu aveuglé par ses propres ambitions), l'homme qui croyait connaître sa femme, l'homme qui se voulait le seul univers de sa femme, se rend compte qu'il ne savait rien d'elle, qu'il vivait d'illusions. Ce voyage au coeur de soi, cette remise en cause génère aussi de nombreuses souffrances... Le seul repère qu'il reste à Amine: sa foi en la vie.
Mon avis
L'Attentat fait partie de ces livres dont on a du mal à se remettre... C'est ce que j'appellerais une lecture "dévastatrice". A quoi cela tient-il?
Le sujet, d'une part, les questions et les émotions qu'il entraîne, d'autre part.
L'Attentat s'inscrit dans une trilogie, dont il est le deuxième volume, consacrée au dialogue (ou à l'absence de vrai dialogue) entre Orient et Occident. Alors que Les Hirondelles de Kaboul interrogeait la place de la femme en Afghanistan, L'Attentat illustre les haines mais aussi les idéaux qui divisent les Juifs et les Arabes en Israël et en Palestine (sans jamais prêcher le Bien ou le Mal). Par sa foi en l'Homme, Amine incarne à lui seul un idéal, un espoir d'avenir: il a brillamment réussi, il a essuyé les mépris et les jalousies, mais il s'est fait sa place, il est même naturalisé israélien. En quelque sorte, il représente "l'intégration". Pourtant, lorsqu'il sort de Tel-Aviv, lorsqu'il rejoint des zones en lambeaux comme Bethléem, Amine n'est pas celui qui a réussi, mais celui qui est aveugle ou inconscient, celui qui refuse de voir la misère et la guerre. En cherchant à comprendre ce qui a poussé sa femme à un tel acte, Amine va se rendre dans la gueule du loup et donner la parole aux groupes terroristes. Ces passages désarçonnent vraiment: les personnages sont tellement confiants, tellements sûrs de leur cause, de sa légitimité... Aveuglés par leur haine, entretenue depuis tant d'années... Pour autant, le médecin s'accroche à son idéal: il persiste à refuser de considérer la mort comme une fin, sa vocation c'est de sauver, de guérir...
Son voyage au coeur des haines et du désespoir sera aussi une intropesction: l'homme qui pensait rendre sa femme heureuse (sans doute un peu aveuglé par ses propres ambitions), l'homme qui croyait connaître sa femme, l'homme qui se voulait le seul univers de sa femme, se rend compte qu'il ne savait rien d'elle, qu'il vivait d'illusions. Ce voyage au coeur de soi, cette remise en cause génère aussi de nombreuses souffrances... Le seul repère qu'il reste à Amine: sa foi en la vie.
Enfin, l'auteur parvient à raconter tout cela sans verser dans le glauque, le morbide ou le mélodrame. Au contraire, malgré quelques scènes très dures, violentes (notamment le premier "chapitre"), Khadra sème de la poésie dans les états d'âme d'Amine, dans ses échanges avec le grand-père de Kim... Cette dernière apporte d'ailleurs un peu de "légéreté" au récit. Au final, on lit un roman composé d'instants poétiques, de désespoir, de vie et de guerre, de mort.
♥♥♥ Trois bonnes raisons de lire L'Attentat :
- Ce court roman est horriblement réaliste et trouve un sinistre écho dans nos actualités;
- Il soulève les questions fondamentales que sont la vie et la mort, et interroge les "justifications" données à la violence;
- L'histoire d'Amine (et de ses proches, et des combattants) ébranle nos émotions.
Si le sujet vous intéresse, si vous avez aimé ce livre, sans doute aimerez-vous les films The Bubble (mêmes "questions", à Tel-Aviv) ou Valse avec Bachir.
Ce livre m'a également fait penser au court-métrage de Hélène Belanger-Martin, Mardi matin... quelque part. Ce film capte quelques minutes du quotidien de gens ordinaires dans un bus, un mardi matin, en plusieurs endroits du monde (en Orient et en Occident) : des enfants, des femmes enceintes, des travailleurs…Jusqu’à ce qu’on comprenne que le personnage récurrent n’est pas une femme enceinte mais une kamikaze, qui sous son ventre, cache des explosifs. Le générique de fin défile sur les sons de l'attentat... J'ai vu ce film voilà presque 4 ans et je ne suis pas parvenue à l'oublier. Il me revient très souvent en tête...
Enfin, allons lire l'avis de Neph...
Extraits
Amine s'adresse à son ami, Naveed, un haut fonctionnaire de la Police (p.94-95).
"- Dis-moi, Naveed, toi qui as vu tant de criminels, de repentis et toutes sortes d'énergumènes déjantés, comment peut-on, comme ça d'un coup, se bourrer d'explosifs et aller se faire sauter au milieu d'une fête? [...] C'est la question que je me pose toutes les nuits sans lui trouver un sens, encore moins une réponse. [...] Alors, comment ils expliquent leur folie?
- Ils ne l'expliquent pas, ils l'assument.
- Tu ne peux pas mesurer combien ça me travaille, ces histoires. Comment, bordel! un être ordinaire, sain de corps et d'esprit, décide-t-il, au détour d'un fantasme ou d'une hallucination, de se croire investi d'une mission divine, de renoncer à ses rêves et à ses ambitions pour s'infliger une mort atroce au beau milieu de ce que la barbarie a de pire?"
Un commandeur (groupe de Jenin) s'adresse à Amine (p.213)
"J'ai voulu que tu comprennes pourquoi nous avons pris les armes... [...] Il n'est pire cataclysme que l'humiliation. [...] Vous n'avez qu'une idée en tête: comment finir dignement après avoir vécu misérable, aveugle et nu?
Personne ne rejoint nos brigades pour le plaisir, docteur. Tous les garçons que tu as vus, les uns avec des frondes, les autres avec des lance-roquettes, détestent la guerre comme c'est pas possible. Parce que tous les jours, l'un d'eux est emporté à la fleur de l'âge par un tir ennemi. Eux aussi voudraient jouir d'un statut honorable, être chirurgiens, stars de la chanson, acteurs de cinéma, rouler dans de belles bagnoles et croquer la lune tous les soirs. Le problème, on leur refuse ce rêve, docteur. On cherche à les cantonner dans des ghettos jusqu'à ce qu'ils préfèrent mourir. Quand les rêves sont éconduits, la mort devient l'ultime salut... Sihem l'avait compris, docteur."