Pervers, vous avez dit pervers?

Publié le par Marie_L

Voici un mois, Ulike a proposé un partenariat avec les éditions Armand Colin, lesquelles lancent une nouvelle collection "Albums Armand Colin Cinéma", dirigée par Michel Marie, professeur d'études cinématographiques à la Sorbonne Nouvelle. Cette collection, en alliant savoir et plaisir, a pour vocation de comprendre (et faire comprendre) ce qui a fait bouger le monde et ce qu'est la vie en revisitant les thèmes récurrents du cinéma, tels que les monstres, les hommes objets, le péplum ou la perversité. D'autres seront bientôt traités, comme les femmes d'action ou l'amour fou.
En bref, le cinéma tel que vous ne l'avez jamais lu!
Un grand merci à Ulike et aux éditions Armand Colin...



grands perversLes Grands Pervers au cinéma
Michel Marie

Avec l'équipe de Monsieur Cinéma
Armand Colin, 2009


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L'auteur débute son essai par une introduction très intéressante dans laquelle il rapproche le cinéphile du voyeur. En effet, le "cinéphile" est celui qui aime le cinéma, qui aime voir des images dans le noir... Tiens, tiens. Le cinéphile serait donc un voyeur, puisqu'il aime voir sans être vu, puisqu'il prend du plaisir, seul, dans le noir... D'emblée, le lecteur qui a choisi ce livre parce qu'il aime le cinéma se voit considéré comme un voyeur! Ca interroge... De la définition de "cinéphile", on glisse naturellement et logiquement vers la définition du "pervers", bien plus difficile à cerner.  Michel Marie étudie alors l'étymologie et l'histoire de ce mot: alors que l'on assimile très souvent le pervers à un homme aux moeurs malsaines, "pervertir" signifie d'abord "détourner quelque chose de sa nature, de sa normalité". Et c'est dans ce "détournement" de la normalité que le mot va s'inscrire pour finalement désigner celui qui est porté à faire le mal...
Dans le cinéma, l'essayiste classifie les pervers: les pervers au masculin, les perverses au féminin, les couples sadomasochistes, enfin les institutions perverses.

Les pervers au masculin
Armand Colin offre ce premier chapitre en lecture PDF. Cliquez ici.fenetre sur cour
Dans ce chapitre, le lecteur croise les voyeurs et les exhibitionnistes. Vous savez, celui qui regarde par le petit trou de la serrure! Ce pervers est presque inoffensif, il est passif et prend son plaisir dans le "voir sans être vu" (comme le cinéphile!). Comment ne pas penser alors au journaliste Jeffries, jambe dans le plâte et appareil photo au bras, dans l'incontournable Fenêtre sur cour d'Hitchcock? C'est, entre autres, cet exemple qu'utilise l'auteur pour étayer son propos.
Du voyeur passif au voyeur criminel, il n'y a qu'un pas. Et de bobines en bobines, on rencontre le voyeur criminel et fétichiste. Ce dernier, par exemple, se retrouve en Scottie, le détective de Sueurs froides (toujours Hitchcock), qui "transforme" Judy en réincarnation de la disparue Madeleine...
Par ailleurs, le pervers se révèle souvent doué pour la manipulation. C'est la figure de l'homme séducteur, hypocrite, vicieux, sadique... parfaitement incarné par Erich Von Stroheim, "l'homme que vous aimeriez haïr"!
Comme vous vous êtes rendu compte, le simple voyeur devient peu à peu un grand pervers, jusqu'à devenir un pervers criminel. Le Marquis de Sade en serait l'initiateur.
Enfin, on dérive logiquement jusqu'à une forme de perversité des plus monstrueuses: les psycho-killers. Pervers non seulement sexuels mais encore psychopathes. Ces pervers au visage si menaçant, si expressif (M, le maudit) qu'ils sont imprimés dans l'imaginaire collectif, notamment celui des femmes... Quelle femme n'a jamais pensé croiser un psycho-killer au détour d'une rue sombre alors qu'elle rentrait seule chez elle en pleine nuit? Ces pervers exercent une forme de fascination, tel Hannibal Lecter, et font preuve d'une intelligence machiavélique, à tel point qu'ils ont un certain contrôle sur les autres...

Légende: Peter Lorre donne son visage à M (M, le maudit, Fritz Lang, 1931) - Anthony Hopkins donne aussi son visage à Hannibal Lecter (Le Silence des agneaux, Demme, 1991) - Daniel Auteuil incarne le marquis de Sade (Sade, Jacquot, 2000) - Erich Von Stroheim - Kevin Spacey joue le psychopathe dans Seven (Fincher, 1995).
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Les perverses au féminin

A la différence des pervers, les femmes trouvent la plupart de leur "modèle" dans la littérature: Antinéa, Carmen, la Marquise de Merteuil, Irma Vamp...
On croise tout d'abord les femmes fatales, autrement nommées "vamps". Selon Jacques Fieschi, les vamps sont des "dévoreuses, délibérement destructrices". Ce sont elles qui choisissent de faire naître le désir, mais jamais elles n'ouvrent leur coeur (ou rarement).
De nouveau, la perversité s'allie à la manipulation. Alors que l'homme sera qualifié de séducteur ou de Dom Juan, la femme est reléguée au rang de "garce". Elle fait tout pour arriver à ses fins, peu importe les moyens. La Marquise de Merteuil et Milady incarnent la garce à merveille.
Souvent, à l'instar de Milady et Constance (la figure diabolique et la figure angélique), l'ingénue trouve ici sa place. Bien sûr, ce n'est pas une véritable ingénue. La femme a alors tout d'une Lolita: consciente de son pouvoir de séduction, jouant faussement les naïves pour rendre les hommes fous... Lolita, imaginée par Nabokov et mise en scène par Kubrick, est le modèle de cette "catégorie".
Enfin, bien qu'elle soit rare, la perverse criminelle clôt ce chapitre. On rencontre moins de tueuses que de tueurs, et lorsque la femme tue, elle choisit le plus souvent le poison. (Sans doute est-elle plus "propre" que les hommes!) Une figure historique et un personnage de fiction structurent ce chapitre: la comtesse Bathory et Emily, la femme jalouse, possessive et paraionaque d'Un Frisson dans la nuit (film de Clint Eastwood).

Légende: Glenn Close incarne la Marquise de Merteuil (Les Liaisons dangereuses, Stephen Frears, 1988) - Faye Dunaway incarne Milady (Les Trois Mousquetaires, Richard Lester, 1973) - Sue Lyon incarne Lolita  aux côtés de James Mason qui joue Humbert Humbert (Lolita, Stanley Kubrick, 1962) - Paloma Picasso incarne la comtesse Bathory (Contes immoraux, Borowczyk, 1974).
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Les couples sadomasochistes

Le pervers existe rarement seul, il s'inscrit le plus souvent dans une relation à l'autre, à l'origine de son désir malsain: la figure du père par exemple, ou le couple. Toute relation s'inscrit dans un rapport dominé/dominant, maître/domestique... et donc, sadomasochiste. C'est une structure évolutive, les rapports pouvant s'inverser. On la rencontre quasiment partout, à divers degrés: à la maison mais aussi au travail. Elle prend différentes formes: morale, psychologique, sexuelle...
Au cinéma, le couple sadomasochiste puise dans les exemples littéraires: La Femme et le pantin, La Chienne, Nana. Souvent, l'écrivain ou le cinéaste utilise un animal pour "illustrer" la relation SM du couple: le chat, le chien ou le cheval. Le plus souvent aussi, la relation SM montre son côté malsain par l'exploitation, l'humiliation, etc. Ainsi, dans L'Ange bleu ou dans La Femme et le pantin, la femme n'hésite-t-elle pas à rabaisser l'homme, jusqu'à le traîner dans la boue pour asseoir sa domination. Le film, quasi documentaire, Maîtresse ainsi que Belle de Jour sont d'autres exemples des pratiques SM et des désirs refoulés des hommes et des femmes...

Légende:  Marlene Dietrich campe Lola Lola aux côtés d'Emil Jannings qui incarne le professeur  Rath (L'Ange bleu, Von Sternberg, 1930) - Brigitte Bardot joue Conchita (La Femme et le pantin, Duvivier, 1959) - Carole Bouquet joue également Conchita dans les mains de Fernando Rey qui joue Matteo Faber (Cet Obscur Objet du désir, Luis Buñuel, 1977) - Catherine Deneuve incarne Séverine (Belle de jour, Luis Buñuel, 1966) - Catherine Deneuve campe Tristana (Tristana, Luis Buñuel, 1970).
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Les Institutions perverses et les pervers historiques
Tous les lieux où s'inscrivent des rapports de pouvoir et d'autorité sont des lieux de perversion, parce que ces rapports de pouvoir et d'autorité induisent inévitablement des humiliations, un désir d'anéantissement de l'autre, des relations dominés/dominants.
Ainsi, les familles sont les premiers cadres dans lesquelles se développent des névroses, des secrets, des interdits... donnant ainsi libre cours à la perversité. L'auteur a choisi d'illustrer ce chapitre avec Festen (Vinterberg, 1998) ou Millenium (Arden Oplev, 2009). On pourrait aujourd'hui ajouter Le Ruban blanc (Haneke, 2009).
Vient ensuite l'entreprise moderne et le capitalisme. Ces derniers, entièrement voués à la logique du profit, engendrent des comportements pervers. La Question humaine (Klotz, 2007) en est le meilleur exemple. L'auteur tente même un parallèle, pertinent, avec le nazisme.
Puis, l'Eglise occupe tout un chapitre. Les nombreuses déviances qu'a connu l'Eglise au cours des siècles ont été fréquemment mises en scène au cinéma. Nombreux sont les serviteurs de l'Eglise qui ont détourner la bonne parole à leur profit et entraîné ainsi manipulations des peuples, persécutions, crimes... La sorcellerie et autres diableries, la pédophilie (La Mauvaise éducation, Almodovar, 2004) en sont les malheureuses illustrations.
Enfin, l'armée, l'Etat et le nazisme sont passés au peigne fin à travers, notamment, La Chute (Hierschbiegel, 2004), La Liste de Shindler (Spielberg, 1993), Portier de nuit (Cavani, 1974), ou encore Salo ou les 120 journées de Sodome (Pasolini, 1976). A propos de ce dernier, Pasolini explique que "ce n'est pas tant le souvenir de cette époque (1945) qui l'a inspiré que le spectacle du monde actuel, la violence sans précédent aujourd'hui exercé sur les corps." (Quelques jours après la première du film, il était assassiné... Ironie du sort.)

Conclusion
Michel Marie conclut son essai en s'interrogeant sur notre société des nouvelles technologies. Aujourd'hui, l'informatique, la prolifération des écrans et des caméras font que l'on vit dans un monde d'images, dans une société de l'exhibition et de la fétichisation des corps. Pourtant, le culte du corps est aussi confronté à un certain puritanisme. (Aparté: Les crimes sexuels sont d'ailleurs parfois davantage "punis" que les meurtres!) Ainsi, l'outil informatique permet tout, banalise et généralise le voyeurisme. Chacun peut donner libre cours à sa perversion, tant qu'il n'est pas défini comme dangereux par la loi et surtout, tant que la perversion reste privée (à la maison).
En bref, aujourd'hui, les pervers semblent relever plus du Droit et de la Loi que de la psychiatrie.
(Au secours, nous sommes tous des pervers !!!)


En bref
Vous l'avez compris, vu la longueur de mon billet, j'ai beaucoup aimé ce petit livre!
Son format est très pratique (23x12 cm) et les images de qualité (attention, certaines ne conviendraient pas aux petits!). On a beaucoup de plaisir à le lire ou même à le feuilleter et refeuilleter.
Michel Marie propose un panorama assez complet et très varié des pervers du cinéma (un catalogue, en somme). Il nous offre une mine d'informations et suscite l'envie: j'ai ainsi noté un certain nombre de films que je ne connaissais que de nom et que j'aimerais à présent voir (de même que j'aimerais revoir certains films), sous l'éclairage des analyses de Michel Marie. A noter que Luis Buñuel et Alfred Hitchcock semblent être les maîtres en la matière...
Il est également appréciable que l'auteur n'utilise pas un jargon de spécialistes, rendant ce livre accessible à tous. De même, pour chaque film cité, l'auteur "raconte" l'histoire ce qui nous permet de comprendre ses propos, de suivre son raisonnement. Mais, il a aussi le défaut de sa qualité: parfois, l'auteur raconte plus qu'il n'analyse... Seul bémol de ce livre (j'aurais en effet une analyse plus fouillée, qui mêlerait davantage cinéma et psychanalyse/psychiatrie).
En bref, le cinéma, tout comme la littérature, offre un beau (mais effrayant) reflet de notre monde!


Ci-dessous, la bande-annonce de la collection Cinéma des éditions Armand Colin

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Commenter cet article
G
<br /> Cette collection doit ravir les cinéphilles et insiter tout le monde à certaines réfléxions intéressantes manifestement.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> C'est exactement cela! Une collection très prometteuse, d'accès facile.<br /> Je compte d'ailleurs poursuivre ma lecture avec les hommes-objets notamment! ;)<br /> <br /> <br />
A
<br /> Ton commentaire est très complet !<br /> J'ai aussi reçu celui-ci et comme toi j'ai beaucoup aimé.<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Il est génial! Je ne sais plus si j'ai déjà lu ou pas ton billet, je retourne voir!<br /> <br /> <br />
P
<br /> Ahlala qu'est-ce qu'il me tente celui-ci!<br /> <br /> <br />
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M
<br /> S'il t'intéresse vraiment, je peux te l'envoyer en "livre voyageur".<br /> <br /> <br />
A
<br /> une bonne idée de cadeau à offrir... et à recevoir !<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Tout à fait! Je compte poursuivre la lecture de cette collection d'ailleurs... :)<br /> <br /> <br />
C
<br /> Eh bien, dis donc, on serait tous des pervers, au minimum passif, au pire... Si je croise quelqu'un qui est menteur, vicieux, manipulateur et j'en passe, je me sauve en courant !!! Et vive le<br /> cinéma qui nous apprend beaucoup sur les Humains !<br /> <br /> <br />
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M
<br /> Oui, c'est ce que j'ai conclu à la fin de la lecture: nous avons tous un côté pervers, au minimum voyeur, à divers degré, diverses formes. Le virtuel, tous les écrans<br /> qui nous entourent, y concourent évidemment...<br /> C'était vraiment une lecture intéressante!<br /> <br /> <br />